La Forme 24 du Taichi : Rituel, Souffle et Alchimie du Mouvement
- Daniel Luntadi

- il y a 3 jours
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I — LE SOUFFLE PREMIER : L’AUBE D’UNE FORME QUI VA TRAVERSER LE MONDE
Il existe dans l’histoire des arts internes un moment où tout bascule, une sorte de point de condensation où la tradition, la modernité, le temps historique et l’inspiration profonde convergent vers un acte créateur.
La forme 24 du Taichi Chuan naît précisément de cet instant unique. Beaucoup la considèrent comme une simplification de la forme longue du style Yang. Mais cette vision est superficielle et fait l’impasse sur ce qui constitue le cœur de cet enchaînement, de ce Tao : une tentative audacieuse, presque visionnaire, de rendre perceptible l’essence du Taichi à un monde en pleine mutation.
Nous sommes au milieu du XXᵉ siècle. L’époque bruisse de transformations. Il fallait créer une forme suffisamment abordable pour le plsu grand nombre, mais sans trahir l’esprit des maîtres qui avaient consacré leur vie à la transmission de cet art du geste juste. On peut imaginer les débats, les hésitations, les doutes : comment préserver la fluidité ? Comment maintenir la spirale interne, le fameux chan si jing subtil, sans diluer sa puissance ? Comment transmettre les principes fondamentaux du Taichi — l’alternance vivante du Yin et du Yang — dans un format réduit ?
Les maîtres réunis pour cette tâche étaient loin d’être de simples techniciens. Parmi eux se trouvait Li Tianji, figure humble mais profondément ancrée dans la tradition. Son père, Li Yulin, avait fréquenté certains des plus grands noms des arts internes : Yang Chengfu, Sun Lutang, Li Jinglin. Ces maîtres n’étaient pas seulement réputés pour leur habileté martiale, mais pour leur compréhension intérieure, pour ce rapport presque chamanique entre le souffle, le corps, les rythmes cosmiques.
Ainsi, la forme 24 n’est pas un “produit dérivé”. Elle est la quintessence. La rsimplification n’est pas un appauvrissement : elle est une distillation. Un peu comme un alchimiste qui concentrerait l’essence d’une plante sacrée dans une goutte unique, l’équipe de maîtres qui conçut l’enchaînement choisit, parmi les centaines de postures du Taichi traditionnel, les vingt-quatre archétypes capables de porter la structure interne de l’art.
Derrière chaque geste se cache un siècle de transmission. Derrière chaque transition, un souffle ancien. L’enchaînement n’est pas un montage technique : c’est une légende condensée.
II — LA MATRICE INVISIBLE : LES RACINES TRADITIONNELLES QUI ALIMENTENT LA FORME 24
Pour comprendre la forme 24, il faut imaginer la Chine des grandes lignées internes, cette époque où les maîtres parcouraient villes et campagnes, partageant leur savoir à des disciples triés sur le volet.
Le père de Li Tianji, Li Yulin, fut l’un de ces passeurs. Dans son parcours, on retrouve la trace du Taichi Yang classique, la structure claire et ouverte qui permet au Qi de circuler comme une rivière tranquille. On y retrouve également l’influence du Xingyi, cette boxe fulgurante et verticale, dont la puissance interne vient de l’ancrage profond dans la Terre et de la direction claire de l’intention.
Cet héritage n’est pas visible au premier regard dans la forme 24. Le pratiquant ne perçoit pas immédiatement les connexions secrètes entre une rotation du poignet et une spirale interne, entre une transition fluide et la marche martiale du Xingyi qui se cache derrière. Pourtant, ces influences sont là, silencieuses, comme les racines d’un arbre qu’on ne voit pas mais qui lui donnent toute sa force.
Lorsque la Commission sportive entreprit de rassembler un comité d’experts pour condenser la forme Yang, elle n’invita pas n’importe qui. Les trois grands centres — Shanghai, Pékin, Tianjin — envoyèrent leurs représentants les plus respectés. Certains avaient pratiqué la poussée des mains (Tui Shou) auprès des maîtres de la génération précédente, d’autres avaient étudié les fondements philosophiques et théoriques du Taichi, et d’autres encore avaient consacré leur vie à l’enseignement à grande échelle.
L’examen de la forme, en 1956, fut un moment décisif. Chaque mouvement fut discuté, analysé, éprouvé. Ce que l’histoire retient rarement, c’est la volonté profonde qui animait ces experts : transmettre un art initiatique à une population qui en avait un besoin vital.
La Chine sortait d’épreuves difficiles et le peuple avait besoin d’une pratique qui puisse le recentrer, le fortifier, lui redonner un sens du corps, du souffle, de l'encrage intérieure.
On dit parfois que les traditions se perdent lorsqu’on les partage. Ici, l’inverse s’est produit : en cherchant à créer une forme accessible, les maîtres ont redonné sens à la quintessence du Taichi. Ils ont dû décider précisément ce qui était essentiel, ce qui était cœur, ce qui ne pouvait être sacrifié. Et c’est ainsi qu’est née la forme 24 : comme une graine éternelle, contenant tout l’arbre, prête à pousser chez quiconque la pratique sincèrement.

III — LE RYTHME DU MONDE : LA FORME 24 COMME PONT ENTRE LE CORPS ET L’UNIVERS
Lorsque l’on se tient dans la première posture — les pieds rapprochés, les bras au repos, la conscience qui descend doucement dans le bas-ventre — on ressent déjà quelque chose d’autre.
Le Taichi n’est pas seulement un exercice physique : c’est une manière de se relier au monde.
La forme 24 est construite comme un souffle.
L’ouverture constitue une inspiration, une prise de contact avec l'étendue du ciel clair et la profondeur de la terre. Puis viennent les postures qui alternent élévations et enracinements, expansions et recentrages, comme si le pratiquant participait au souffle cosmique qui anime le monde.
Le mouvement lent n’est pas seulement une pédagogie : c’est une liturgie du temps. Dans cette lenteur, on retrouve l’intuition que l’univers ne se précipite jamais. Lorsqu’une feuille tombe, elle ne tombe pas vite. Lorsqu’une rivière coule, elle ne se dépêche pas. Lorsque le vent se lève, il ne se brusque pas. Le mouvement lent du Taichi est une manière de se mettre à l’unisson de ce rythme primordial.
La forme 24, avec ses spirales douces et son flux silencieux, invite le pratiquant à redevenir un être vivant parmi les forces de la nature, et non un individu séparé.
Celui qui pratique longtemps découvre que chaque transition, aussi simple soit-elle, possède sa propre musique intérieure. Le poids qui glisse dans la jambe avant est une vague. La rotation de la taille est une lune qui tourne sur son axe. L’élévation des bras est un nuage qui s’élève dans une lumière tamisée. L’abaissement des mains est un retour à la Terre, une caresse du sol.
Ainsi, la forme 24 devient une manière de danser avec le monde. Ce n’est pas un exercice où l’on fait un mouvement : c’est un rituel où le mouvement se fait à travers nous.
IV — LA TRADITION LONGUE, LE GESTE COURT : LE PARADOXE SACRÉ
Il existe dans toutes les traditions initiatiques une tension féconde entre l’abondance et l’essentiel. L’Abhidharma du Bouddhisme contient des centaines de pages, mais les maîtres préfèrent transmettre une seule phrase. Les classiques taoïstes regorgent de chapitres complexes, mais le Daodejing tient en quelques vers. Les traités d’alchimie sont vastes, mais les vérités se cachent dans un symbole, une image, un souffle.
La forme 24 s’inscrit dans cette logique. Elle semble courte. Elle semble simple. Mais elle n’est ni l’une ni l’autre. Elle est dense. Elle est précise. Elle est conçue pour permettre à chacun, qu’il soit débutant ou maître, d’y projeter la profondeur qu’il est prêt à explorer.
Celui qui pratique depuis un mois y trouvera de la détente. Celui qui pratique depuis un an y trouvera de la structure. Celui qui pratique depuis dix ans y trouvera de la spirale. Celui qui pratique depuis trente ans y trouvera du vide.
La forme 24 est un miroir. Chacun n’y voit que ce qu’il est prêt à y voir.

V — LES 24 ARCHÉTYPES : MYTHOLOGIE INTERNE DE LA FORME
Il serait possible de commenter chaque posture individuellement, mais ce serait encore trop superficiel. Ce qui compte, ce n’est pas seulement la technique, mais le symbole intérieur que chaque mouvement porte en lui.
L’ouverture évoque la naissance, l’esprit qui revient au corps.La Grue Blanche déploie la verticalité du cœur, la légèreté de l’âme. Le Brosser de Genou rappelle la marche de l’homme conscient, celui qui avance sans perdre son axe. Les Mains en Nuages sont l’un des mouvements les plus emblématiques du Taichi moderne : on y retrouve le rythme de l’univers, le souffle des anciens maîtres, la lenteur sacrée du monde. Les coups de poing du Taichi, même dans une forme simplifiée, résonnent comme des affirmations silencieuses : je suis là, ancré, présent, vivant. L’apparente fermeture finale n’est pas une clôture : c’est un retour à la Source.
Dans ces vingt-quatre archétypes se cache une véritable symmbolique mythologique. Chaque geste est le caractère d’un alphabet invisible. Celui qui maîtrise l’alphabet peut commencer à écrire. Celui qui maîtrise l’écriture peut commencer à créer. Celui qui crée peut commencer à transformer. De là, il n'y a qu'un pas de la transformation à la transmutation...
VI — L’ART QUI GUÉRIT : LA FORME 24 COMME REMÈDE DU CORPS ET DE L’ÂME
On parle souvent des bienfaits du Taichi, parfois avec des termes trop médicaux ou trop vagues. Mais lorsque l’on se place dans la perspective du pratiquant sincère, on comprend que la forme 24 agit à des niveaux plus subtils.
Sa lenteur invite le système nerveux à s’apaiser. Son rythme régulier équilibre la respiration. Sa douceur permet au corps de se relâcher et d’abandonner les tensions accumulées par la vie moderne.
Mais la guérison la plus profonde n’est pas physiologique. Elle est existentielle. Dans un monde où tout va vite, où l’on exige de chacun rapidité, performance, adaptation constante, la forme 24 est une résistance silencieuse. Elle dit : ralentis, écoute, respire. Elle dit : tu n’es pas une machine. Elle dit : tu peux redevenir un être vivant.
Cette guérison intérieure n’est pas un concept abstrait. Celui qui pratique quotidiennement ressent un changement profond. Les émotions se régulent. Les pensées s’apaisent. Les relations deviennent plus fluides. Le regard sur le monde se transforme. On pourrait presque dire que la forme 24 redonne à l’être humain une manière plus juste d’être présent, d'être au monde.
Ainsi, la forme 24 bien plus qu'un remède, est un chemin de retour.

VII — LE TAICHI COMME ART MARTIAL : LA FORME 24 OU LA PUISSANCE NON OSTENTATOIRE
On oublie souvent que la forme 24 possède également une dimension martiale réelle. Bien sûr, elle n’exprime pas le pouvoir technique complexe d’une forme longue, mais elle contient les principes. Le Taichi, même simplifié, n’a jamais été conçu comme un simple exercice de bien-être. Il repose sur des principes martiaux subtils : l’absorption, la redirection, l’ancrage, la spirale, la poussée interne. Dans les mouvements les plus doux, on retrouve la trace de ces forces invisibles.
Lorsque le pratiquant avance dans la forme 24, il découvre que la douceur n’est pas une faiblesse. Elle est une véritable force qui n'a besoin d'être démonstrative. Le puissance du Taichi est dans la coordination du relâchement, dans la juste place de l’intention, dans la connexion du corps à la Terre.
Faire la forme 24 avec un esprit martial ne signifie pas la durcir. Cela signifie l’habiter. Cela signifie sentir, derrière chaque geste, la possibilité du retour, la disponibilité à l’adaptation, la force tranquille qui ne cherche jamais à s’imposer mais qui ne peut être ébranlée.
VIII — LA TRANSMISSION : QUAND LES MAÎTRES PARTAGENT LEURS SECRETS, QUAND L'INITIATION SE FAIT CORPS
Nombre des maîtres qui participèrent à la création de la forme 24 venaient des lignées les plus raffinées du Taichi traditionnel. Certains avaient étudié auprès de Chen Weiming, disciple direct de Yang Chengfu. D’autres avaient influencé le développement du Taiji à l’épée, de la poussée des mains, et des formes plus avancées.
Cette transmission, souvent silencieuse, est inscrite dans la forme 24. On pourrait croire que l’enchaînement est “pédagogique” au sens moderne, mais il est en réalité profondément initiatique. Les maîtres savaient que la forme 24 allait toucher des millions de personnes. Ils savaient que tout le monde ne pourrait pas devenir expert. Mais ils savaient aussi que chaque geste, s’il était correctement exécuté, pouvait transmettre une vibration, une mémoire, une résonance.
La forme 24 n’est pas seulement un exercice pour les masses. C’est un message.
Un message adressé à ceux qui cherchent. Un message suffisamment simple pour être entendu par tous, mais suffisamment profond pour nourrir toute une vie.
Car certains messages ne se transmettent pas par les mots, mais par la forme, par la structure, par le geste qui se répète jusqu’à devenir un archétype silencieux. Les anciennes cathédrales gothiques furent construites de cette manière : non pour expliquer, mais pour révéler. Elles étaient des livres de pierre écrits pour ceux dont l’œil intérieur était suffisamment ouvert pour comprendre ce que la matière ne disait pas encore, mais suggérait à travers la lumière, la proportion, l’élévation.
La forme 24 agit exactement comme une cathédrale en mouvement. Elle est le Taichi rendu accessible à tous, mais offerte surtout à ceux capables d’y lire les niveaux cachés. Pour le passant, une cathédrale n’est qu’un monument. Pour l’initié, c’est un organisme vivant, une carte cosmique, une architecture codée où chaque pilier, chaque ogive, chaque vitrail contient une vérité subtile. De même, pour celui qui ne fait que suivre la forme 24, il n’y a que des gestes lents ; pour celui qui sait regarder, chaque transition, chaque pivot, chaque ouverture contient une clé.
Les cathédrales furent bâties par des hommes qui connaissaient la science des rapports sacrés. Ils savaient que dans certaines proportions habite une énergie particulière, une qualité vibratoire qui touche le cœur et affine l’esprit. La forme 24 est édifiée exactement de la même manière : ses angles internes, ses spirales, ses expansions et ses contractions ne sont pas arbitraires. Elles obéissent aux mêmes lois secrètes que celles qui ont guidé les bâtisseurs de lumière. Ce n’est pas un hasard si l’on se sent plus vaste après avoir traversé une nef gothique, ni si l’on se sent plus paisible, plus aligné, après avoir traversé la forme 24. Ce sont deux manifestations d’une même connaissance : celle qui transforme par la structure.
Dans les cathédrales, les alchimistes reconnaissaient les étapes du Grand Œuvre — la nigredo, l’albedo, la rubedo — dissimulées dans les chapiteaux, les gargouilles, les vitraux. La forme 24 porte les mêmes étapes, mais inscrites dans le mouvement : la descente dans la Terre du premier ancrage, la clarté ascendante des postures d’ouverture, la rougeur intérieure du Qi qui circule lorsqu’on atteint l’unité. Les maîtres qui ont façonné cet enchaînement y ont laissé une architecture initiatique complète, telle une cathédrale sans murs, que chacun peut emporter avec lui.
Et comme dans les cathédrales, rien n’est imposé. La vérité est là pour celui qui regarde, pour celui qui sent, pour celui qui s’arrête. Le passant peut entrer dans Notre-Dame sans rien percevoir de ses secrets. Le pratiquant peut faire vingt-quatre mouvements sans sentir la moindre vibration intérieure. Mais celui qui cherche — celui qui cherche vraiment — sent qu’il passe une porte. Dans la pierre comme dans le geste, le monde intérieur s’ouvre.
Ainsi, la forme 24 n’est pas un simple enchaînement : elle est une nef que l’on traverse. Elle est une élévation. Elle est un message codé, issu d’une tradition qui savait transmettre sans expliquer. Elle est un monument invisible, mobile, vivant, où chaque mouvement est une colonne et chaque souffle un vitrail. Elle est une cathédrale dont l’architecture ne se lit pas avec les yeux, mais avec le cœur.
IX — LA DIMENSION MYSTIQUE : UNE PRATIQUE QUI DEVIENT RITUEL
Il existe un moment, dans la pratique du Taichi, où l’on cesse de “faire” la forme. Le geste devient transparent. Le souffle se synchronise avec l’intention. Le corps devient un canal. À cet instant, la forme 24 cesse d’être un enchaînement. Elle devient un rituel.
Ce rituel n’a rien de religieux. Il est une manière de s’harmoniser à la respiration du monde. Une manière d’affiner sa conscience, de la rendre vaste et silencieuse. Une manière de rejoindre la tradition taoïste dans sa vision la plus pure : celle où l’être humain, délivré des résistances inutiles, se laisse traverser par le mouvement naturel des choses.
Dans cet état, les vingt-quatre postures deviennent vingt-quatre portes vers une réalité intérieure plus vaste. Le geste n’est plus quelque chose que l’on fait pour aller quelque part. Il est quelque chose qui révèle où l’on est déjà. Et lorsque ces portes s’ouvrent, on découvre que la forme 24, tout en participant de la tradition chinoise, dialogue mystérieusement avec d’autres voies sacrées du monde.
Elle résonne, par exemple, avec les vingt-deux lettres hébraïques de la Kabbale, ces matrices vibrantes dont chacune est considérée comme une puissance créatrice, un canal d’émanation entre le visible et l’invisible. Le kabbaliste sait que ces lettres ne sont pas des signes, mais des forces ; qu’elles ne désignent pas, mais qu’elles engendrent. De la même façon, les postures du Taichi ne sont pas des positions que l’on imite : elles sont des archétypes qui façonnent celui qui les traverse. Chaque geste porte un Nom, une vibration, une fonction secrète qui agit dans les profondeurs de l’être, comme les lettres de feu façonnent les mondes dans les premiers chapitres du Sefer Yetsirah.
Dans certaines traditions, on enseigne que les vingt-deux lettres sont les briques de la création, les sons primordiaux à partir desquels Dieu sculpta l’univers. De même, dans la forme 24, chaque posture est un son muet, un souffle façonné, un idéogramme vivant. Celui qui les pratique avec conscience s’aperçoit que ces gestes, comme les lettres sacrées, forment un alphabet de l’âme. Les vingt-quatre postures composent un texte que l’on ne lit pas avec les yeux mais avec le souffle ; un texte qui ne s’écrit pas sur le papier, mais dans le corps subtil. Et lorsqu’on les enchaîne avec sincérité, on comprend que l’on ne fait pas une forme : on écrit une prière.
Ce même principe se retrouve encore dans un autre rite d’une profondeur inouïe : la danse des derviches tourneurs. Là aussi, le mouvement n’est pas une chorégraphie. Il est un acte cosmique. Le derviche tourne comme une planète autour de son soleil intérieur, créant par le geste un passage entre le monde dense et la réalité infinie. Sa rotation est une offrande, un effacement, une ouverture. Et ce qui est remarquable, c’est que la forme 24, si différente dans son apparence, porte un mouvement semblable dans son essence : l’effacement de l’ego, la libération du mental, l’expérience d’un centre immobile au cœur d’un geste perpétuel.
Le derviche tourne jusqu’à ce que le monde extérieur se dissolve, jusqu’à ce que le centre intérieur devienne le seul axe réel. Le pratiquant de Taichi, dans la lenteur, suit une spirale identique : il revient encore et encore à son Dantian, ce point immobile autour duquel tout gravite. Le derviche trace un cercle avec ses pas ; le taïchiste trace un cercle avec son souffle et sa conscience. Deux chemins, deux vitesses, deux esthétiques — mais un même destin : devenir un axe autour duquel tourne la vie, un pilier qui relie la Terre et le Ciel.
Ainsi, les vingt-quatre portes du Taichi, les vingt-deux lettres de la Kabbale et la rotation sacrée des derviches ne sont pas des traditions séparées. Elles sont trois langages d’une même science, trois alphabets d’une même vérité : l’être humain est un pont entre les mondes, et le mouvement, lorsqu’il est pur, peut devenir une révélation. Les maîtres de toutes les voies l’ont toujours su : le corps est un temple, et le geste, lorsqu’il est juste, ouvre des royaumes.

X — LA VOIE DU TAICHI MODERNE : CONCLUSION INITIATIQUE
Le monde change. Il va vite, très vite. Et pourtant, jamais la forme 24 n’a été aussi nécessaire qu’aujourd’hui. Elle permet à chacun de retrouver un espace intérieur où le mental se tait, où le souffle se pose, où le corps se réunit. Elle offre une voie simple mais profonde pour renouer avec la lenteur, la conscience, l’équilibre. Elle réconcilie tradition et modernité, corps et esprit, intention et relâchement.
Le Taichi moderne n’est pas un reniement du Taichi ancien. Il est son prolongement. Il est la preuve que les arts internes ne vieillissent pas. Ils s’adaptent. Ils respirent. Ils vivent. Et la forme 24, avec sa structure limpide et sa profondeur infinie, est la preuve vivante de cette capacité de transformation.
Elle n’est pas un vestige du passé.Elle est une voie d’avenir.Une voie pour un monde qui a perdu son rythme.Une voie pour des êtres humains qui cherchent encore à habiter pleinement leur corps, leur souffle, leur vie.
La forme 24 est une porte ouverte.Une porte simple.Mais derrière cette porte se trouve tout un monde.Un monde ancien, un monde intérieur, un monde silencieux.Un monde qui attendait seulement que quelqu’un prenne le temps de l’écouter.
XI — LA FORME 24 QUE JE TRANSMETS : UN HÉRITAGE VIVANT, UNE PÉDAGOGIE INITIATIQUE OFFERTE À TOUS
Dans ce parcours que dessine la forme 24, faite de portes, de souffles, de spirales et de résonances sacrées, il existe une dimension supplémentaire : celle de la transmission vivante.
Car un enchaînement, si profond soit-il, reste une architecture vide tant que personne n’y insuffle la présence, l’intention juste, la présence du geste partagé. Il ne suffit pas d’apprendre les mouvements ; il faut être guidé dans la manière de les habiter. La forme 24 n’est pas uniquement un héritage ancien : elle est un flambeau qui demande à être porté avec soin, avec respect, avec inspiration.
C’est dans cet esprit que j’ai façonné l’enseignement que je propose aujourd’hui. Non pas comme une méthode figée, ni comme une série de vidéos à consommer rapidement, mais comme une véritable continuité de la voie initiatique que cette forme porte en elle. TaoFlow Academy n’est pas un espace où l’on “consomme des cours”. C’est un lieu où l’on revient, comme on revient dans un sanctuaire intérieur, un espace où la lenteur retrouve son sens, où le souffle peut enfin se poser, où la pratique devient une exploration personnelle guidée par une pédagogie organique et sensible.
La forme 24 que je transmets n’est pas exactement celle que l’on trouve dans les manuels ; elle n’en trahit rien, mais elle en éclaire les angles invisibles. Elle porte la marque de la transmission que j'ai reçu, de la ligné à laquel je suis relié, de mes années de pratique, d’écoute, d’étude et de silence.
Je n’enseigne pas seulement un enchaînement : j’enseigne une manière de danser avec le monde, une manière de respirer le ciel et la terre, une manière d’habiter le geste comme on habite un temple.
Au-delà de son aspect santé puissant, l’objectif profond n’est pas la performance technique ; il est la transformation intérieure. Et cela nécessite une pédagogie qui ne force jamais, mais qui ouvre, qui accompagne, qui révèle. Une pédagogie qui respecte le rythme de chacun, qui accueille le corps tel qu’il est, qui invite à une subtilité que l’on ne peut pas imposer, mais seulement susciter.
Les cours en ligne sont, pour moi, une façon de continuer ce mouvement d’ouverture que portait déjà la création de la forme 24 : rendre accessible, sans altérer l’essentiel ; démocratiser, sans appauvrir ; offrir largement ce que l’on a reçu intimement.
Dans chaque vidéo, je cherche non pas à démontrer, mais à transmettre. Je cherche à faire sentir ce que le geste murmure, à guider l’élève vers la sensation interne.
La forme 24 se déploie alors non comme un “cours”, mais comme un voyage. Un voyage où chacun devient capable de lire en lui-même ce que les anciens maîtres ont écrit dans les mouvements.
C’est cela, en vérité, la vocation de TaoFlow Academy : prolonger la lignée invisible dont nous avons parlé. Éveiller chez le pratiquant le sentiment que le Taichi n’est pas juste un exercice gymnique, mais une Voie, un Chemin. Une voie d’accès à soi, au monde, à une qualité de présence rare. Faire en sorte que celui qui pratique depuis son salon, son jardin, son espace intérieur, puisse toucher à la même profondeur que celui qui, jadis, apprenait d’un maître dans une cour silencieuse au lever du soleil.
Transmettre la forme 24, c’est transmettre plus qu’un mouvement : c’est transmettre un espace intérieur. Une attitude. Une finesse. Une paix.
Et lorsque je vois les élèves progresser, non pas dans la précision extérieure du geste, mais dans la densité de leur souffle, dans la douceur de leurs appuis, dans la lumière discrète de leur regard, je comprends que la chaîne n’est pas rompue. Que l’ancien souffle continue de vivre à travers eux. Que la forme 24 reste ce qu’elle a toujours été : un message. Un message simple, offert à tous, mais capable, pour ceux qui le reçoivent vraiment, d’ouvrir une vie entière.
Bonne voyage,
Daniel





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